CHRONIQUE – Oyez, braves gens, la France est le pays des miracles : le Covid 19 a fait baisser le nombre des faillites et réduit le chômage.
Les chiffres sont là : le PIB a diminué de 9% en 2020, mais pendant cette même année fatidique, le Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce a dénombré 27 645 ouvertures de procédures collectives, soit un recul de 37,5 % rapport à 2019.
Mieux encore : la création d’entreprises a battu tous les records : 10 000 de plus en 20020 qu’en 2019 et 50 000 de plus qu’en 2018.
Quant au chômage, on craignait une flambée meurtrière. Or il s’est établi à 8% fin 2020, inférieur de 0,1 point à celui qui prévalait, en moyenne, sur les trois derniers mois de 2019, c’est-à-dire avant la récession déclenchée par l’épidémie de Covid-19.
Qui se souvient que François Mitterrand, en 1993, alors président de la République, et Grand Menteur devant l’Eternel, avait déclaré : « Dans la lutte contre le chômage, on a tout essayé. » Eh bien non ! On n’avait pas essayé la pandémie. A la décharge de Tonton, le surnom gentil et affectueux que Le Canard enchaîné avait donné à Mitterrand, on dira que lui et son gouvernement en 1981 avaient tout fait pour augmenter le chômage : 35 heures, augmentation du SMIC, hausse des impôts, programme archaïque de nationalisations, etc.
Enfin, selon une note publiée, mardi 23 février, par la Banque de France, la dette nette des entreprises, hors sociétés financières, ne s’est accrue que de 17 milliards d’euros en 2020. Soit une hausse de seulement 0,8%, alors que l’on criait au loup du surendettement
Tout va donc pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. Vive la France ! Vive Macron, notre bien-aimé Timonier !
Un signe toutefois devrait nous inquiéter : le déficit du commerce extérieur s’est creusé en 2020 de 7,3 milliards d’euros par rapport à 2019. Les Français se sont serrés la ceinture, ils ont gonflé leur épargne comme des Harpagons, et malgré tout ils ont plus acheté à l’extérieur qu’ils ne lui ont vendu. La faiblesse congénitale de notre économie est toujours là.
Un autre signe doit nous alerter : selon la même note de la Banque de France, la dette brute des entreprises, elle, s’est envolée de 217 milliards d’euros, soit une augmentation de 13 %. Le chiffre de la dette nette est en fait trompeur, car il est global. C’est vrai que beaucoup d’entreprises ont utilisé les prêts garantis par l’Etat pour gonfler leur trésorerie, mais il s’agit peut-être d’une minorité. Beaucoup d’autres s’en sont servi pour se maintenir à flots.
La presse est obnubilée par le problème de la dette publique, avec ce débat absurde sur son éventuelle annulation. Mais le problème de la dette privée est passé sous silence. Cette dette-là devra être remboursée, ou soldée par des faillites.
S’ajoute la dette fiscale et sociale des entreprises qui va se rappeler dans les prochains moins, voire dans les prochaines semaines, aux comptables des entreprises. Et ce rappel à la réalité risque d’être saignant, les agents du fisc et de la Sécu n’aiment pas trop qu’on les ballade.
En un mot comme en cent, beaucoup de nos entreprises qui sont en état de survie sont des entreprises zombies, un terme devenu à la mode chez les banquiers et autres affreux financiers.
Pour faire simple, on dira qu’une entreprise zombie est une entreprise qui persiste à survivre, pour le grand soulagement de ses salariés, alors qu’elle aurait dû disparaître. Mais ces entreprises continuent à capter des ressources humaines et capitalistiques qui auraient dû aller vers des entreprises d’avenir, et donc entravent leur essor. Pire : dans leur fuite en avant, elles ne créent plus d’emplois durables, recourent systématiquement à des contrats de travail courts, des intérimaires plutôt que de créer des emplois permanents. Le processus de destruction créatrice du capitalisme, souvent cruel, est entravé. Et finalement tout le monde est perdant. Le futur est sacrifié pour la survie dans le présent.
Le risque est donc qu’un grand nombre d’entreprises françaises entraîne notre pays dans une sorte de momification, sur la voie d’un nouveau déclassement, alors que beaucoup d’autres firmes, en Amérique ou en Asie, voire même en Europe, sont déjà de plain-pied entrées dans le monde de demain.Auteur(s) : Philippe Simonnot, journaliste pour FranceSoir – 27/02/2021 – 15:30
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