Malgré plus de quatre heures de réunion, la commission mixte paritaire sur le projet de loi instaurant le passe vaccinal s’est conclue par un échec, ce jeudi après-midi, entre députés et sénateurs. Un tweet de Bruno Retailleau a mis le feu aux poudres. Mais les sénateurs y voient un prétexte. Ce désaccord risque d’entraîner un nouveau retard dans la mise en œuvre du passe vaccinal.
LE 13 JAN 2022Par François Vignal@francoisvi3mn
Ils étaient si près du but. Mais dans la dernière ligne droite, tout a capoté. Députés et sénateurs ne sont pas parvenus à un accord ce jeudi, lors de la commission mixte paritaire (CMP) sur le projet de loi portant le passe vaccinal. Les sept députés et sept sénateurs présents n’ont pu que constater l’échec de la CMP, après avoir cru à un accord. Tout est parti en vrille après… un simple tweet.
Le texte va maintenant repasser devant l’Assemblée nationale pour une nouvelle et dernière lecture, puis de nouveau au Sénat, avant de faire son retour une dernière fois devant les députés qui auront le dernier mot et pourront adopter définitivement le projet de loi.
Montagnes russes
Députés et sénateurs sont allés au bout du suspense. Avec quatre heures de discussions, les échanges ont été pour le moins longs, alternant le chaud et le froid. Une vraie montagne russe cette CMP. De source parlementaire, les choses ont mal commencé. Après plus d’une heure de discussions, les parlementaires sont même passés à deux doigts du précipice. Constat de désaccord. Dès les réunions préparatoires, ce matin, les discussions s’annonçaient en réalité déjà mal.
Mais les choses n’en restent pas là. Il y a alors eu « diverses interventions de sénateurs et de députés sur le thème, « ce n’est pas possible, il ne peut pas y avoir d’échec ! » », rapporte à publicsenat.fr l’un des participants. Une suspension est alors décidée, et « les discussions ont repris durant cette suspension » entre rapporteurs. Avant de toper. Un « accord de principe » est trouvé en fin d’après-midi. Restait encore les détails à régler. « Et ils sont nombreux », confie un sénateur. Un vrai accouchement au forceps… qui ne va jamais aboutir.
Castaner dénonce le « mépris inacceptable » du Sénat
Car alors que les derniers points sont discutés, Bruno Retailleau, patron des sénateurs LR, tweete en fin de journée en affirmant que la CMP a donné raison au Sénat, « la victoire du bon sens ». Sauf que la CMP n’est toujours pas terminé ! En tweetant plus vite que la musique – petite boulette qui va vite prendre des grandes proportions – le sénateur de Vendée a mis à mal le fragile équilibre qui se dessinait. Christophe Castaner, à la tête du groupe LREM, en profite pour dénoncer aussitôt le « mépris inacceptable » du Sénat et une « tentative de récupération politique ». Fin de l’histoire. Echec de la CMP. « La majorité sénatoriale piétine nos institutions et provoque l’échec de la CMP », dénonce quelques minutes après la présidente de la commission des lois de l’Assemblée, Yaël Braun-Pivet.
Gérard Larcher a tenté de sauver la CMP en appelant Richard Ferrand
Si le tweet n’a pas aidé – un sénateur parle « d’erreur de communication » – on était quand même plus proche de la fumée blanche que des portes qui claquent. Après le psychodrame, Gérard Larcher a même tenté de sauver la CMP, en appelant son homologue Richard Ferrand, président LREM de l’Assemblée nationale, pour que les travaux entre députés et sénateurs reprennent. En vain.
Le sénateur PS Jean-Yves Leconte raconte sa vision de cette fin de CMP, quelque peu rocambolesque. « Quand la CMP a été suspendue, les rapporteurs travaillaient. On a attendu. A un moment, un journaliste m’apprend par SMS que Bruno Retailleau annonce un accord et me demande de confirmer… Nous, on était toujours en train d’attendre ! LREM a finalement considéré que les formes n’étaient pas respectées », explique le socialiste, qui pointe aussi le problème :
L’accord n’était même pas encore distribué aux membres de la CMP, c’est clair que les formes n’étaient franchement pas respectées.
Reste que l’empressement de LREM à lever la CMP a pour le moins surpris le sénateur LR Stéphane Le Rudulier, qui était présent. Il y voit un coup politique. « Je trouve déplorable d’instrumentaliser politiquement cette crise sanitaire », contre-attaque-t-il, « surtout sur un sujet aussi délicat et sensible, où il y a des centaines de personnes qui meurent par jour ».
« Le tweet est parti trop tôt » reconnaît Bruno Retailleau, qui s’étonne d’une « disproportion incroyable » dans la réaction de LREM
Au Sénat, certains trouvent l’excuse du tweet un peu grosse et voient dans ce psychodrame un prétexte, au fond, pour ne pas aboutir. Signe que l’heure est grave, en début de soirée, Bruno Retailleau et Hervé Marseille, les deux présidents de groupe LR et centriste, qui forment la majorité sénatoriale, diffusent un communiqué commun. « Le Sénat avait tendu la main », « aucun prétexte de forme ne saurait justifier devant les Français la remise en cause d’un accord sur le fond », soutiennent les deux présidents.
Contacté, Bruno Retailleau reconnaît que « le tweet est parti trop tôt, car nous pensions que la CMP était terminée. C’est une péripétie ». Mais le président de groupe s’étonne d’« une disproportion incroyable » entre le tweet et l’échec de la CMP, « alors que nous sommes plongés dans une crise sanitaire et qu’il s’agit de la santé des Français ».
« Un peu excessif quand même… »
Même sentiment pour Hervé Marseille : « C’est un peu excessif quand même de justifier une rupture sur un texte aussi important en se fondant sur un tweet. Ça laisse penser qu’il ne fallait pas grand-chose pour justifier la rupture, alors qu’à ma connaissance les représentants du Sénat avait fait pas mal de concessions. L’idée, c’était d’aboutir », explique le sénateur UDI des Hauts-de-Seine. Hervé Marseille ajoute :
La réaction violente de la majorité présidentielle laisse supposer qu’il y avait quand même une arrière-pensée de ne pas aboutir. Car si la seule justification, c’est un tweet…
L’un des principaux protagonistes, le rapporteur LR du texte au Sénat, Philippe Bas, s’étonne aussi que « la présidente de la commission ait tiré argument d’un simple tweet, c’est-à-dire un événement parfaitement extérieur au travail de la CMP, pour lever la séance et déclarer l’échec ». « Petites causes, grands effets », résume le sénateur de la Manche. Il ajoute : « Pourquoi l’accord des deux chambres du Parlement devrait être remis en cause par un tweet ? »
Philippe Bas l’assure, l’accord était là : « Nous avons décidé, de part et d’autre, de mieux entendre les attentes de chacun. Ce terrain d’entente s’est dégagé au fil des heures. Nous avons noué l’accord politique dans l’après-midi. Puis il s’est traduit dans les rédactions juridiques ».
Un désaccord qui devrait retarder encore un peu le passe vaccinal
Le Sénat, qui a terminé l’examen du texte la nuit dernière, avait adopté quatre principales modifications : limitation du passe vaccinal selon le niveau de l’épidémie et dans les départements où moins de 80 % de la population éligible dispose d’un schéma vaccinal complet ; les moins de 18 ans non soumis au passe vaccinal ; la suppression de la vérification de l’identité du détenteur du passe dans les bars et restaurants ; et la suppression de l’amende de 1.000 euros par salarié pour les employeurs n’appliquant pas le télétravail. Lors de la CMP, les discussions ont notamment été difficiles sur la question du contrôle de l’identité (surtout), ainsi que sur les amendes pour les entreprises. Pour les jeunes, un seuil avait été fixé à 16 ans pour le passe vaccinal, et le passe sanitaire pour les moins de 16 ans dans toutes les situations.
Ce désaccord en CMP devrait encore retarder l’adoption définitive du passe vaccinal, déjà repoussée après les débats chaotiques la semaine dernière, à l’Assemblée. Les sénateurs n’avaient ensuite pas voulu examiner dans la foulée le texte, comme l’avait demandé le premier ministre Jean Castex, soulignant que ce projet de loi ne répond de toute manière pas à l’urgence de la vague Omicron. Le passe vaccinal arrivera en effet trop tard pour juguler l’épidémie, alors qu’on compte près de 300.000 cas en moyenne chaque jour.
Le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, espérait une mise en œuvre « dans les premiers jours de la semaine du 17 janvier », contre le 15 janvier prévu initialement. Ce calendrier semble aujourd’hui difficile à tenir. Le texte va cependant repasser au Sénat dès samedi, à 16 heures. Une fois le projet de loi définitivement adopté par les députés, il faudra encore laisser le temps pour les éventuels recours devant le Conseil constitutionnel.
Bruno Retailleau : « L’Assemblée peut reprendre les éléments de l’accord »
Malgré tout, Philippe Bas dessine encore un espoir : « Je pense qu’on peut encore dépasser cet échec et le rendre provisoire en faisant en sorte que les points de vue qui se sont considérablement rapprochés puissent s’exprimer par le vote des deux assemblées. J’appelle chacun à prendre des responsabilités et faire en sorte que l’unité que nous avions pratiquement réalisée puisse se traduire dans le texte ». Autrement dit, malgré l’échec de la CMP, que les députés puissent reprendre à leur compte les compromis de l’après-midi. Bruno Retailleau l’espère aussi : « Demain, l’Assemblée peut reprendre les éléments de l’accord. Si les députés le font, on oubliera vite et nous voterons. Mais si ce n’est pas le cas, ça signifiera que tout ça n’était qu’un prétexte ». Ce scénario d’un accord repris par les députés est loin d’être évident. Comme le souligne justement un sénateur, « on sent quand même qu’on est à trois mois d’une présidentielle ».Publié le : 13/01/2022 à 18:39 – Mis à jour le : 13/01/2022 à 23:15